Béla Bartók
Béla Bartók (Bartók Béla, selon l’usage en hongrois), né le 25 mars 1881 à Nagyszentmiklós en Autriche-Hongrie (aujourd’hui Sânnicolau Mare, soit en français Saint-Nicolas le Grand, en Roumanie), décédé le 26 septembre 1945 à New York, était un compositeur hongrois, pianiste et collectionneur de musique folklorique d’Europe de l’Est. Il fut l’un des fondateurs de l’ethnomusicologie.
Biographie :
Béla Viktor János Bartók est né dans le Banat austro-hongrois, région à la confluence des cultures (magyare, roumaine, slovaque) et foyer d’irrédentisme, d’hostilité aux Habsbourg, puis au régime Horthy.
Ses parents étaient assez cultivés. Sa mère, Paula Bartók, était institutrice et son père, dénommé Béla lui aussi, était directeur d’une école d’agriculture. Tous deux pratiquaient un peu la musique. Béla fut leur premier enfant, bientôt suivi d’une petite soeur, Erzsébet (Elza) en 1885. Le premier instrument du tout jeune Béla fut un tambour dont il se servait pour battre la mesure lorsque sa mère lui jouait du piano. Elle commence à lui enseigner ce dernier lorsqu’il atteint ses 5 ans.
Il a 7 ans quand son père meurt. Cela oblige sa mère à déménager et à donner des cours de piano, en plus de son métier, pour subvenir aux besoins de la petite famille. L’année suivante, ils partent s’installer à Nagyszollos (aujourd’hui Vynohradiv en Ukraine). Ils y sont rejoints par la tante maternelle Irma. C’est dans cette ville que Bartók s’essaiera dès l’âge de 9 ans à la composition.
A 11 ans, Bartók donne son premier concert (l’allegro de la sonate Waldstein de Beethoven ainsi que l’une de ses toutes premières compositions, Le cours du Danube) puis la famille déménage à nouveau pour Pozsony (aujourd’hui Bratislava, connue historiquement sous le nom de Presbourg, capitale de la Slovaquie, à 60 km de Vienne). László Erkel lui enseigne alors le piano et l’harmonie. Il y fait aussi la connaissance d’Ernő Dohnányi.
Il rejoint ce dernier à Budapest vers 17 ans et entre à l’Académie royale de musique de Budapest. Il est l’élève d’István Thoman (pour le piano) et de Hans Koessler (pour la composition), rencontre Ernst von Dohnányi, Leó Weiner et surtout Zoltán Kodály (Weiner et Kodály, eux aussi, étaient élèves de Koessler). C’est avec Zoltán Kodály que Bartók va recueillir la musique folklorique hongroise. Auparavant, son idée de la musique folklorique hongroise se fondait sur les mélodies tziganes interprétées par Franz Liszt. En 1903, il avait écrit un grand travail orchestral, Kossuth, qui fut donné à Budapest.
Ses premières compositions révèlent une forte influence de la musique de Johannes Brahms et d’Ernst von Dohnányi. En 1902, l’audition de Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss l’enthousiasme. Il l’étudiera assidûment et, à la même époque, se joint au courant nationaliste hongrois, alors en plein essor.
C’est à partir de 1905 que Béla Bartók commence à approfondir son intérêt récent pour la musique populaire hongroise. Grâce à sa rencontre avec Kodály – qui lui inculque sa rigueur scientifique – il prend conscience de la nécessité de sauvegarder la mémoire musicale traditionnelle ; commence alors pour lui une véritable carrière d’ethnographe et de ethnomusicologue, qui s’étendra rapidement à une grande partie de la musique traditionnelle européenne – et même au-delà. En compagnie de Kodály, il va parcourir les villages de Hongrie et Roumanie, recueillant des centaines de mélodies et chants populaires, les transcrivant et les enregistrant.
Il découvre aussi Paris cette année là à l’occasion du concours Rubinstein : le cosmopolitisme de la ville l’ouvre au monde et le marque durablement. Cette période de sa vie a, semble t-il, une influence déterminante sur le plan philosophique : Bartók se détache de toute religion pour un athéisme profond et serein (il s’y explique dans une lettre à Stefi Geyer, un de ses premiers amours, en 1907).
De 1907 à 1934, il enseigne le piano à l’Académie royale de Budapest. En 1907, il écrit Trois chansons populaires hongroises, l’année suivante, il compose son Quatuor à cordes n° 1. En 1909, il épouse sa très jeune élève, Márta Ziegler (1893-1967), âgée de seize ans, qui, un an plus tard, lui donnera un fils, qui sera également prénommé Béla.
En 1911, il présente ce qui devait être son seul opéra, Le Château de Barbe-Bleue. Le gouvernement hongrois lui demande de retirer le nom du librettiste, Béla Balázs.
Pendant la Première Guerre mondiale, il écrit les ballets Le Prince de bois et Le Mandarin merveilleux, suivis par deux sonates pour violon et piano qui sont parmi les pièces les plus complexes qu’il ait écrites. En 1917, il écrit son Deuxième Quatuor à cordes.
En 1923, Béla divorce de Márta et se remarie avec son élève Edith Pásztory, plus connue sous le nom de Ditta Pásztory . Il est alors âgé de quarante-deux ans ; elle en a vingt. Ensemble, ils feront des tournées en Europe, lors de concerts pour deux pianos. Son fils, Péter, voit le jour en 1924. En 1927-28, il compose ses Troisième et Quatrième Quatuors à cordes, qui sont considérés comme étant parmi les plus importants quatuors jamais écrits en musique classique, à la suite desquels son langage harmonique commence à se simplifier. Le Quatuor à cordes n° 5 (1934) est, de ce point de vue d’une écriture plus traditionnelle.
En 1935, il se libère de l’enseignement du piano grâce aux commandes désormais régulières qu’il honore. Mais Hitler et la seconde guerre mondiale vont bouleverser sa vie.
Bartók ne se compromet jamais, ni de près ni de loin, avec un quelconque régime fasciste. Il s’oppose à Horthy qui a rallié les Nazis. Il change de maison d’édition lorsque cette dernière se nazifie, refuse que ses œuvres soient jouées dans des concerts nazis, et demande à ce qu’elles participent à l’exposition sur la musique dite « dégénérée » à Düsseldorf. Dans son propre testament, Bartók va jusqu’à exiger qu’aucune rue, parc ou monument public ne porte son nom, et ce, dans un quelconque pays, tant qu’il en subsistera au nom d’Hitler ou de Mussolini… Cette exigence morale perturbe évidemment tous ses champs d’activités : concerts, compositions et collectes de mélodies. Bartók ne s’imagine pas à plus de 55 ans s’expatrier et recommencer à donner des cours pour vivre. Il achève alors Contrastes, un de ses derniers grands succès. La dernière attache dont il ne peut se résoudre à se défaire est sa mère : ce n’est qu’à la mort de cette dernière qu’il quitte l’Europe pour les Etats-Unis, meurtri, après lui avoir néanmoins rendu hommage dans son sixième quatuor.
Le 8 août 1940, Bartók fait ses adieux à l’Europe lors d’un concert donné à Budapest. Il écrit alors à une amie : « Et nous voici le cœur plein de tristesse, et nous devons vous dire adieu, à vous et aux vôtres – pour combien de temps ? Peut-être pour toujours qui sait ? Cet adieu est dur, infiniment dur. […]. A proprement parler, ce voyage nous fait sauter de l’incertitude dans une insupportable sécurité. Je ne suis pas encore entièrement rassuré sur mon état. Je crois que la périarthrite n’est pas complètement guérie. Dieu sait combien de travail j’arriverai à fournir là-bas, et pendant combien de temps. Mais nous ne pouvions rien faire d’autre. La question n’est absolument pas « Muss es sein ? », car « es muss sein ! ». »
La rupture est profonde et Bartók ne s’en remet pas. L’accueil aux États-Unis fut d’abord chaleureux. Il refuse un poste de professeur de composition à la Curtis University mais accepte le titre de docteur honoris causa de l’Université Columbia : cela lui permet de continuer ses transcriptions et ses classements. Mais les concerts se font de plus en plus rares et les critiques ne le ménagent pas. La gêne le touche peu à peu : la maison Baldwin récupère un des deux pianos qu’elle lui a prêté, il ne peut donc plus travailler à deux pianos avec sa femme… Mais sa fierté et son intransigeance ne le quittent pas. Il refuse encore de donner des cours de composition. En 1942, il retrouve son fils Péter, parti pour la guerre. Il manifeste alors les premiers symptômes d’une leucémie qu’on lui cachera jusqu’à sa mort.
Il donne début 1943 son dernier concert en tant qu’interprète. Son état de santé se dégrade régulièrement mais, peu à peu, les musiciens américains tentent de l’aider financièrement : il refuse toute forme d’aumône, surtout déguisée. Il n’accepte que de composer. Il reçoit alors ses dernières commandes qui lui redonnent confiance : son Concerto pour orchestre, la sonate pour violon seul (commandé par Menuhin, 25 min de violon seul : la dernière œuvre d’une telle ampleur est de Bach), un concerto pour alto (tout juste esquissé) et enfin son concerto pour piano n° 3.
La Hongrie, à peine libérée, lui rend un dernier hommage en l’élisant député : il accepte sachant qu’il ne pourra sans doute pas honorer la fonction. Bartók s’éteint le 26 septembre 1945 à New York âgé de 64 ans, vaincu par la leucémie. Varèse est présent lors de ses obsèques.
À titre posthume, il sera lauréat du prix d’honneur de la paix (décerné par le Conseil mondial de la paix) en 1954. Sa Veuve Edith Pásztory-Bartók meurt à Budapest, le 21 novembre 1982, à l’âge de 79 ans. Béla Bartók sera exhumé du cimetière Ferncliff à Hartsdale le 25 juin 1988, et ses restes transférés au cimetière Farkasréti de Budapest.
Bartók et la musique folklorique
Dans sa jeunesse, comme beaucoup de ses compatriotes, Bartók est sensible aux idéaux nationalistes. Dans un article autobiographique, paru en 1921 (republié dans Musique de la vie), il énumère plusieurs compositeurs qui l’ont marqué, puis il ajoute :
« Il y a eu également un autre facteur, qui a eu une influence décisive sur mon développement : à cette époque (il en est aux années 1902-1903) prenait naissance en Hongrie le bien connu courant national, qui a pénétré également dans le domaine de l’art. On disait qu’il fallait créer, en musique également, quelque chose de spécifiquement national. Ce courant m’a déterminé, moi aussi, à tourner mon attention vers l’étude de notre musique populaire, ou plutôt vers celle qui était alors considérée comme la musique populaire magyare. »
Bartók commence donc à s’intéresser à la musique populaire sous l’influence des idéaux nationalistes. C’est l’époque où il publie des Chants populaires hongrois (le premier est de 1904), arrangés pour voix et piano. En 1903, il avait composé Kossuth, une œuvre symphonique inspirée par l’insurrection magyare de 1848, menée par Lajos Kossuth, contre l’empire d’Autriche. C’est aussi l’époque où Bartók arbore le costume national hongrois, même pour monter sur scène en tant que pianiste. L’époque où il écrit à sa mère, la suppliant de cesser de parler allemand à la maison… Ce n’étaient pas vraiment des excentricités de sa part. Il arborait, tout comme d’autres, les emblèmes du courant national hongrois.
Il y avait de tels courants dans la majeure partie de l’Europe centrale et orientale. On y adhérait ou on s’y opposait, mais il était pratiquement impossible d’ignorer les débats qui les entouraient. Dans le domaine musical, ces débats tournaient autour de questions comme : Peut-on / doit-on créer quelque chose de spécifiquement national ? Faut-il ou non utiliser des musiques populaires dans la composition ? Si on en utilise, de quelles musiques s’agit-il ? De quelle manière faut-il le faire ? Etc.
Exotisme et nationalisme en musique
Pour Bartók (comme d’ailleurs pour d’autres compositeurs hongrois, tel Kodály) l’utilisation des musiques traditionnelles revêt une signification qu’elle n’avait pas dans les pays occidentaux. La plupart des compositeurs européens, leur attribuent des qualités telles que le « naturel », la « spontanéité » ou encore la « fraîcheur ». Bartók reprend à son compte ce vocabulaire mais sous sa plume apparaissent des motivations qui ne sont pas uniquement esthétiques. Les compositeurs occidentaux recherchaient surtout l’exotisme, et ils allaient généralement le puiser dans des musiques étrangères à leur pays d’origine (par exemple Claude Debussy à Java, Maurice Ravel en Espagne, etc.). En Europe centrale et orientale, les courants nationalistes – auxquels Bartók fût très sensible dans sa jeunesse – recherchaient également des sources de rafraîchissement de la création, mais avec en plus l’idée qu’il fallait créer quelque chose de « spécifiquement national » (ce sont les termes de Bartók).
Une manière simple d’y parvenir, eût été d’instiller quelques thèmes du folklore national dans la composition savante. Le résultat eût été une teinte de « couleur locale » mais la structure même de l’œuvre serait demeurée intacte. Selon Bartók, pour créer une musique « spécifiquement nationale » il fallait nécessairement une démarche d’avant-garde, qui brise les cadres antérieurs, importés des nations voisines. Dans un article de 1920, Bartók cite Zoltán Kodály :
« Il nous a été transmis si peu de choses par écrit de la musique hongroise ancienne que sans des recherches sur la musique populaire, il ne peut même pas y avoir de conception historique de la musique magyare. (…) pour nous, la musique populaire a plus de signification que pour les peuples qui ont développé depuis des siècles leur style musical particulier. Leur musique populaire a été assimilée par la musique savante, et un musicien allemand trouvera chez Bach et Beethoven ce que nous devons chercher dans nos villages : la continuité d’une tradition musicale nationale. »
Dans ce contexte, le folklore apparaît comme une tradition alternative, et devient ainsi une source d’inspiration pour l’avant-garde ou plutôt, pour une certaine avant-garde : celle qui entend rester dans la tonalité, tout en l’explorant dans des directions nouvelles. À l’image de son contemporain exact le roumain Georges Enesco, Bartók baignait dans une atmosphère culturelle internationale qui a considérablement influencé son œuvre musicale. Mais la principale source consciente de son inspiration, celle qu’il recherchait activement, était la musique traditionnelle. Il y a à cela des raisons esthétiques, liées à l’exotisme en vogue à l’époque dans toute l’Europe. Mais Bartók y ajoute explicitement des raisons idéologiques.
« Folklore comparé » et identité nationale
Lorsque Bartók se lance dans l’exploration scientifique des musiques traditionnelles, celle-ci en est à ses balbutiements. Il y avait eu quelques précurseurs, mais ils s’étaient surtout intéressés aux textes des chansons populaires. Le contexte nationaliste favorise la création de diverses institutions, chargées de collecter, d’archiver et d’étudier les musiques traditionnelles. Plus important peut-être, des fonds sont alloués à la recherche. Cette dernière se voit assigner deux objectifs :
Le premier concerne la création artistique. Il s’agit d’apporter aux compositeurs qui le désirent des musiques populaires, déjà transcrites, directement dans leur cabinet de travail. Les associations de compositeurs commencent ainsi à se doter d’archives de musiques traditionnelles.
L’autre perspective est la recherche scientifique sur le folklore. Celle-ci se développe à son tour dans deux directions :
Il y a d’une part les questions évolutionnistes, qui concernent le degré d’ancienneté d’une forme par rapport à une autre. On suppose que certaines musiques sont plus primitives et d’autres plus évoluées, et on essaye de les ordonner sur un axe temporel.
L’autre voie qu’emprunte la recherche est ce que Bartók appelle le « folklore comparé » et qu’on nommerait aujourd’hui le diffusionnisme. Il s’agit de déterminer l’origine géographique d’une forme musicale, et les directions dans lesquelles elle s’est propagée.
À l’époque, évolutionnisme et diffusionnisme sont les deux courants majeurs de la pensée anthropologique, au niveau mondial. En Europe centrale et Orientale, ce sont les problématiques diffusionnistes qui prédominent, et leurs enjeux ne sont pas uniquement scientifiques. Ce type de recherche vise à déterminer les spécificités culturelles de chaque peuple, de même que les influences réciproques, ce qui peut avoir des répercussions politiques. En affirmant par exemple que telle population possède une culture qui lui est propre, on donne un argument de poids pour la considérer comme une nation à part entière, et de nombreuses revendications deviennent alors légitimes. À l’inverse, on peut contester certaines prétentions nationalistes, en montrant que la population en question est hétérogène, et que sa culture est en fait celle des nations voisines. Le fer de lance de ces discussions n’était pas la musique. Les arguments les plus importants étaient d’ordre linguistique et historique. Mais le grand public était souvent plus sensible à l’appartenance du folklore, s’insurgeant facilement lorsque le résultat des recherches lui semblait « antinational ».
Les recherches de Bartók étaient souvent financées par des organismes d’État. Étant passionné par ce qu’il faisait, il y investit également une part non négligeable de ses fonds propres, mais il n’aurait certainement pas pu donner autant d’envergure à ses travaux s’il n’avait bénéficié des budgets et du cadre institutionnel dont le contexte nationaliste favorisait l’apparition. Bartók ne s’est pas vraiment préoccupé de donner à ses recherches une valeur d’argument dans les débats politiques. Dans l’ensemble, il étudiait ce qui l’intéressait, rentrant parfois en polémique avec d’autres folkloristes, mais sans vraiment affirmer de revendication nationaliste. Bartók travaillait donc en terrain miné. Ses compatriotes comprenaient mal qu’il perde son temps à s’occuper du folklore des autres nations, au détriment de celui de la Hongrie (d’après les estimations de B. Suchoff, Bartók a recueilli 3400 mélodies roumaines, 3000 slovaques, et la Hongrie arrive en 3e position, avec seulement – si on peut dire – 2700 mélodies). On l’a accusé, pour cette raison, de trahir la cause nationale. Bartók évoque ces réactions, et d’autres du même genre, dans un article de 1937:
« Prenons par exemple un folkloriste de nationalité A, qui, après avoir à peu près épuisé le matériel folklorique de son pays, conçoit le projet « criminel » d’entreprendre des recherches dans un pays voisin, à désigner par B. Pourquoi ? Parce que – tous les savants le savent – il faut étudier le matériel du pays B (et des pays C, D, etc.) pour connaître la véritable essence du matériel du pays A. Mais que se passera-t-il ? Ce savant sera traité de tous les noms par ses compatriotes pour avoir « gaspillé » son temps à l’étude, à la collecte et à la conservation des trésors culturels d’une nation « rivale ». Toutefois, sans envisager ce cas extrême, supposons que les compatriotes du savant se taisent et ne l’accusent pas de haute trahison. Dans cette situation favorable, le savant pourra garder dans ses tiroirs les fruits du travail qu’il aura consacré au folklore du pays B, assuré qu’il peut être de ne pas trouver d’éditeur. Ses compatriotes diront en effet : « En quoi ce matériel étranger nous regarde-t-il ? Estime-toi heureux qu’on te laisse travailler sans protester. » D’autre part, le chercheur sera accueilli avec méfiance dans le pays étranger où il poursuit ses recherches. « Qui sait, peut-être a-t-il falsifié les documents au profit de son propre pays ? » – pensera-t-on de lui. Et même si les habitants du pays B n’ont pas des arrière-pensées si noires, il est incontestable qu’ils préfèrent accorder leur soutien à des compatriotes, à leurs propres chercheurs, même si ces recherches sont moins intéressantes. C’est ainsi que notre pauvre idéaliste sera abandonné de tous, et ce n’est pas une troisième nation, parfaitement indifférente, qui lui accordera son aide. »
En plus des problèmes éditoriaux, Bartók a également beaucoup souffert lorsque, après la guerre, les budgets alloués à la recherche ont considérablement diminué, et qu’en plus, les voyages dans les pays étrangers sont devenus très difficiles voire impossibles. Il termine son autobiographie (republiée dans Musique de la Vie) par cette phrase un peu amère :
« Malheureusement, ce tournant favorable (qui précédait la guerre) a été suivi, à l’automne 1918, de l’effondrement politique et économique. Les troubles directement liés à ce dernier, et qui ont duré un an et demi, n’ont pas été le moins du monde propices à la création de travaux sérieux.
Même la situation actuelle (en 1921) ne nous permet pas de penser à continuer les travaux de folklore musical. Nos propres ressources ne nous permettent pas ce « luxe » ; d’un autre côté – pour des motifs politiques et de haine réciproque – la recherche scientifique dans les territoires séparés de notre pays est quasiment impossible. Quant aux voyages dans des pays lointains, c’est quelque chose qu’on ne peut plus espérer…
D’ailleurs, dans le monde, personne ne s’intéresse vraiment à cette branche de la musicologie : qui sait, peut-être qu’elle n’est même pas si importante que le croient ses fanatiques ! »
From Wikipedia™, this document is available under the terms of the GNU FDL at : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bela_Bartok
The GNU FDL is available at : http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html